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Chroniques
Pascal Dusapin
Perelà, uomo di fumo | Perelà, homme de fumée
Après Roméo et Juliette (1989), Medeamaterial (1991) et To be Sung (1993), le quatrième ouvrage lyrique de Pascal Dusapin, Perelà, uomo di fumo, fut créé à l'Opéra Bastille le 24 février 2003, sous la direction de James Conlon [lire notre chronique du 1er mars 2003]. Il aura donc fallu dix ans au compositeur pour digérer ses premières expériences dans un domaine qui l'intéresse peu à priori, et livrer une œuvre au format et à la durée bien différents des précédentes. Plus encore, c'est le sujet du texte d'Aldo Palazzeschi (Il codice di Perelà, 1911) qui a dirigé la composition, sans qu'il y ait à la base « un projet musical, théorique voire conceptuel ». Il a conservé dix chapitres de l'ouvrage initial, ainsi que la langue italienne.
« Un jour vous avez aveuglément béni le sort qui vous l'avait envoyé, et aujourd'hui c'est avec le même aveuglement que vous le condamnez. » Cette injonction de l'héroïne au tribunal qui condamne Perelà résume l'argument de cette fable qui appartient à la période futuriste de son auteur. Un homme de fumée, à l'origine mystérieuse, au passé inconnu, rencontre les notables d'un royaume imaginaire – banquier, philosophe, archevêque, etc. Prosélyte d'aucune vérité, l'homme étrange est fêté puis, en raison de la sagesse et de la supériorité qu'on lui accorde, est désigné pour rédiger le nouveau Code du pays. Mais le Roi, qui veut être aussi léger que lui, cherche de même une purification par le feu et y laisse la vie. Jugé pour son influence néfaste sur la population, l'homme est condamné à la réclusion à vie. Il s'interroge sur l'incompréhension dont il a été l'objet, puis disparaît de sa cellule.
Travailler sur un grand format autorisait Dusapin à multiplier divers types de voix, tant au point de vue de la tessiture que des styles (la vieille femme de Martine Mahé, le perroquet de Gilles Yanetti – qui a bien dû s'amuser à ce rôle inhabituel, monosyllabique !). Si l'ensemble de la distribution est efficace, on remarquera particulièrement le mezzo-soprano Nora Gubisch (Marquise Oliva di Bellonda) dont l'expressivité rend convaincant ce beau rôle d'amoureuse qui passe de la mélancolie à la colère, puis à la révolte ; le soprano Isabelle Philippe (la reine) au chant clair et souple ; les basse et baryton-basse Friedemann Röhlig et Nicolas Courjal, amples et sonores, dans des rôles multiples. Signalons aussi le Chœur de l'Opéra National de Montpellier, plus proche de l'ensemble vocal puisqu'il a des parties solistes à défendre.
À l'orchestre ordinairement employé par le compositeur pour ses opéras, on notera ici l'apparition du piano – associé aux passages amoureux – et des percussions. Une fanfare frivole, sur scène, vient s'opposer grotesquement à la tension dramatique que révèle l'Orchestre National de Montpellier dirigé par Alain Altinoglu. Malgré quelques reproches possibles – ambiances musicales monotones sur la longueur, discours final de Perelà sans doute trop passionné pour quelqu'un d'indifférent au monde d'ici-bas, etc. –, l'œuvre finit par envoûter l'auditeur par sa poésie et la qualité de l'interprétation dont elle est l'objet.
LB